Pedros Morais

Ne pas savoir, 2016

Ne pas savoir

Il y a un paradoxe fascinant de la science, voire des mathématiques, à trouver des formalisations visuelles, avec les maigres outils de représentation qui sont les nôtres, pour traduire la complexité de phénomènes abstraits ou invisibles. Il est légitime de se demander si ces schémas et images modélisés ne conditionnent à leur tour notre compréhension du monde, produisant en conséquence des effets sur le réel. Quel est la part d'invention humaine dans une approche qui se veut pourtant objective et vérifiable? Félix Pinquier a un vif intérêt pour la vulgarisation scientifique, concernant la dimension spéculative mais aussi sa poésie involontaire et son esthétique imagée, où le cosmos se trouve synthétisé dans une image de presse. Il croise cette recherche avec les tentatives de formaliser le caractère impalpable de la musique, dans l'organisation écrite des sons ou la définition d'une forme pour les instruments. Depuis Pythagore et sa déification des mathématiques, que l'on enquête sur l'harmonie, la technique de l'accord parfait, sans entièrement expliquer pourquoi certaines combinaisons de sons seraient plus agréables à l'oreille.

Félix Pinquier reprend alors les principes de la topologie, cette branche des mathématiques qui étudie les déformations spatiales produites par des transformations et déformations continues. Dans le cas de sa pratique, est-il possible de penser un espace à cinq dimensions à partir d'un seule disque de caoutchouc? En reprenant le geste scientifique, il replie cette surface délimitée pour la transformer en moulage dans lequel il fait couler le plâtre de ses sculptures. À l'arrivée, les sculptures délaissent leur cadre scientifique pour devenir des sortes de fleurs ou des astres, accrochées au mur et reliées entre elles par des tubes conducteurs d'énergie, pouvant évoquer aussi des instruments à vent. Les formes musicales s'imposent à nouveau, évoquant souffle et vibration, mais traduites dans un langage de mobilier domestique. Les tubes sont courbés et non soudés, sans angles agressifs, à l'image de structures ergonomiques employées dans les transports, les hôpitaux ou l'industrie. Pourtant, une énergie s'en dégage, conjuguée parfois à l'évocation d'une roue qui semble tourner à l'intérieur du mur, ou à la forme d'une hélice. "L'hélice a un principe de réversibilité qui m'intéresse", nous dit l'artiste, "elle est autant capable de produire de l'énergie, comme dans le cas d'une éolienne, que d'en dépenser, dans le cas d'un bateau."

Parfois ses formes ne gardent que la structure, à l'image d'une plaque noire découpée, a priori abstraite mais qui s'avère être une matrice: un outil à tirer le plâtre, encore une fois associé à la domesticité, utilisé traditionnellement pour faire des moulures dans des appartements.

Dans une autre sculpture imposante, Félix Pinquier semble évoquer encore une forme musicale, celle du pavillon, sorte de cône utilisé pour amplifier le son, mais dont le basculement à l'horizontale les transforme en vortex, peints à l'image d'un "fond diffus cosmologique", soit la captation de l'Univers peu de temps après le Big Bang, observée par le satellite Planck. Les formes sonores croisent alors la perspective de voûtes cosmiques.

La passion des sciences de Félix Pinquier est indissociable du pouvoir de l'imaginaire, loin de tout impératif d'objectivité. Cela est d'autant plus évident dans les différentes sculptures posées sur un plateau en forme d'entonnoir aux couleurs aquatiques ou minérales. Une sphère en pierre taillée, une pyramide entrouverte, un mollusque en caoutchouc ou un écoulement de plomb évoquent de façon presque alchimique la transformation continuelle de la matière. Ce caractère impermanent des choses fait écho à l'attitude privilégiée par l'artiste, inspirée par la lucidité scientifique, affirmant puissamment "je ne sais pas". Le langage peut devenir objet; l'abstraction mathématique peut prendre la forme d'une fugue musicale.

Pedro Morais